Après une annulation liée à la pandémie, le congrès international des archives s’est finalement déroulé du 10 au 13 octobre 2023 à Abu Dhabi. Le compte-rendu de ce voyage prendra la forme d’un diptyque avec un premier article se concentrant sur la partie archivistique du Congrès (programme des sessions) et un autre de type carnet de voyage sur l’image des Emirats, qui paraîtra prochainement.

 Pour faciliter la navigation dans un cet article assez long, voici un accès direct aux différents sujets abordés :

Les thèmes du congrès

Cinq sous-thèmes orientaient les sessions du congrès :

  • Paix et tolérance,
  • technologies émergentes,
  • archives et climat,
  • archives et preuve,
  • accès et mémoire.

Ces sujets reflétaient directement le positionnement et les intérêts des Archives nationales des Emirats arabes unis, une jeune institution, née quasiment en même temps que la fédération politique des émirats, sous l’égide de celui qui est considéré comme un père fondateur : Zayed Bin Sultan Al-Nahyan. Cette personnalité et sa citation sur l’histoire : « Celui qui ne connaît pas son passé ne peut tirer le meilleur parti de son présent et de son avenir, car c’est du passé que nous apprenons » ont été maintes fois mentionnées durant les allocutions de personnalités, y compris celle de François Hollande. On les retrouve aussi dans la vidéo de présentation des Archives nationales ou sur les autres vidéos distribuées sur leur chaîne YouTube.

Dans « Le faucon » de Gilbert Sinoué, on en apprend un peu plus sur les origines… égyptiennes de ce centre de documentation, puis d’archives et le rôle de la culture et du savoir pour construire un état (voir Gilbert Sinoué, Le faucon, p.155-157, Paris, J’ai Lu, 2020). J’y reviendrai dans un autre article de ce blog.

Archives et climat

La question du climat a été abordée selon plusieurs angles. Grâce à l’intervention d’Eric Chin Sze Choong, j’ai pu découvrir les contenus de la conférence organisée par la section d’Asie du Sud-est du CIA (SARBICA) en 2022 et qui fait un état de la question. Il en a retenu deux thèmes principaux : l’impact du changement climatique sur les archives et l’empreinte environnementale des méthodologies d’archivage.

Exemples d’impacts du changement climatique sur les archives

  • L’apparition de nouveaux champignons et insectes auxquels les centres d’archives n’étaient pas exposés auparavant,
  • la durée des projets de restauration après des catastrophes (ex les inondations de Florence en 1966),
  • la collecte d’archives de lieux historiques en voie de disparition comme les rizières en terrasse aux Philippines.

Exemples d’impacts des méthodologies d’archivage sur le climat

  • L’impact carbone des stratégies LOCKS (Lots Of Copies Keep Stuff Safe),
  • la pratique du recyclage des supports de données en fonction des besoins d’accès et des délais de conservation,
  • l’approche très sélective de la collecte des archives,
  • une approche multicouche de la conservation (la fameuse image de l’oignon qui fait sourire mes élèves) en version plus verte,
  • la création d’un prix pour les engagements en faveur de l’environnement. Ici, pour nos collègues des bibliothèques, l’IFLA Green Library Award.

Expérience latino-américaine

Durant les autres présentations de la matinée, le travail de Claudio Ogass Bilbao, Francisco Gonzales Villanueva, Mabel Tapia Ponce, José Saldias Meza, Oscar Zamor dans le cadre du projet PCOM-ICA-2023 était aussi très intéressant. Cette équipe de jeunes chercheurs latino-américains a étudié les Archives d’Amérique du Sud et leur attitude face aux catastrophes climatiques et la mise à jour de leurs plans catastrophes. La difficulté à collecter les données auprès des institutions patrimoniales ne les a pas découragés et ils rédigent actuellement un guide de référence sur la thématique : Didactic Booklet on Climate Change. Le poster présentant leur projet a d’ailleurs remporté un des cinq prix décernés durant le Congrès.

Archives et intelligence artificielle : études de cas

J’ai un avis mitigé sur les études de cas d’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine des archives. Voici quelques extraits de mes notes.

Les archives de Catalogne ont survolé la mise à disposition de leurs collections numérisées avec la recherche en plein texte dans les manuscrits, pour se concentrer sur un projet de création de visites virtuelles des différents sites d’archives de la région.

Family Search a évoqué son retour d’expérience sur l’utilisation des modèles de langage pour analyser les registres d’état civil et répondre à la perte de bénévoles dépouillant les archives. Ceux qui restent intéressés travaillent alors sur l’analyse initiale faite par l’outil pour la corriger et l’affiner, en choisissant de préférence les régions ou branches familiales qui les intéressent.

Sarah Higgins a présenté un projet d’humanités digitales réalisé en 2022. Il s’agit de la constitution d’une archive nationale galloise grâce à l’aide de l’intelligence artificielle dans trois domaines : l’analyse et la segmentation d’images, la création de résumés de textes et l’indexation de ces contenus et leur catégorisation selon leur importance patrimoniale. Le rapport de projet est disponible au lien suivant.

Les métiers du patrimoine en bouquet final

Lors de la table ronde finale du vendredi, les représentants des principales organisations patrimoniales intergouvernementales ou non gouvernementales ont leurs initiatives relatives au développement durable et se sont accordés pour mutualiser les efforts et construire une base de connaissances commune.

Pareil à l’IFLA, l’ICOM a fait connaître son « Global award on sustainable development for museum practice ». La présidente a aussi partagé la nouvelle définition de musée, approuvée en Prague en 2022, qui prône activement l’inclusion et encourage la diversité et la durabilité.

L’ICCROM, entité intergouvernementale a mentionné la mise à disposition de divers outils et matériel de formation pour gérer les risques du changement climatique sur les collections, ainsi que son projet Net0 : Heritage for Climate Action.

Josée Kirps, présidente du CIA a aussi évoqué le groupe de travail sur le climat et rappelé le projet écoconçu du nouveau bâtiment des archives nationales du Luxembourg sur le site de Belval avec sa toiture végétalisée, l’utilisation du bois pour les bâtiments administratifs, ses panneaux photovoltaïques, les pompes à chaleur et les puits canadiens, etc.

Active avec les jeunes professionnels

Une autre raison de ma présence à ce Congrès était le soutien de Gaëlle Stephan, jeune mentorée faisant partie du New Professionnal programme porté par le Conseil International des Archives. Notre participation commune au congrès, clôturait en beauté notre mentorat d’une année. Il fut difficile de se partager la participation aux sessions, car l’animation des réseaux sociaux et diverses obligations prenait le temps de la cohorte de mentorés. Malgré tout, mentors et mentorés ont pu se retrouver lors des repas et pause-café pour échanger sur le congrès, les projets en cours ou recommander la visite de certains stands.

L’évaluation des posters mis au concours était une occasion supplémentaire de collaboration que nous avons toutes les deux beaucoup appréciée, aussi bien pour les interactions entre jurés durant ce projet, que pour la réflexion technique sur la forme et le contenu des posters.

Enfin, notre intérêt mutuel pour le déchiffrage de l’échiquier politique du Moyen-Orient, notre lecture de la perception des Arabes par les occidentaux et inversement, et bien sûr notre goût pour l’architecture, nous ont amené à beaucoup discuter avant, pendant et après ce séjour sur la péninsule arabique… Les visites du Louvre Abu Dhabi et de la Grande Mosquée étaient une énième occasion d’échanger sur la symbolique de ces monuments et pour le musée de s’interroger sur sa politique de collections.

Une chouette surprise !

Finalement cette participation au congrès était très positive avec quelques bonnes sources d’information trouvées, quelques nouveaux contacts pris notamment pour les outils de conservation à long-terme. C’était aussi l’occasion de retrouver avec plaisir quelques amis archivistes français perdus de vue et, étonnamment, de mieux connaître les initiatives suisses en cours dans le domaine de l’archivage. Et puis il y a avait une surprise blonde croisée au milieu d’un souk temporaire lors du souper de gala, avec qui j’ai eu beaucoup de plaisir à terminer ma semaine.